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Protection des minorités : la perversion politique d�un impératif légitime

Si toutes les vraies démocraties du monde s'accordent à défendre les minorités, il reste encore à clarifier le système de défense à faire valoir. Il ne peut s'agir que d'un compromis national, consistant dans des discriminations positives, les processus d�affirmative action célèbres dans toutes les mosaïques ethniques à l'instar des États-Unis d'Amérique. Mais ne court-on pas le risque d'une égalisation et d'un nivellement par le bas? D'où l�indignation d'Abel Eyinga : �Le sens que la Constitution de Biya (art 57, al. 3) semble donner au mot �autochtone� lorsqu'elle déclare que le conseil régional est présidé par une personnalité �autochtone� de la région, ce sens est porteur de germes destructeurs de toute idée d'un Etat national camerounais �.(18)

 

La constitution révisée, en ce qu'elle pose des principes de discriminations, est effectivement loin de refléter comme toute constitution, les aspirations à la conscience nationale. Elle reflète plutôt une fausse conscience. Et ce d�autant que dans la constitution, ces concepts d�allogène et d�autochtone ont été laissés dans une grande ambiguïté tant au niveau sémantique où il n�y aucune précision du concept dans le texte fondamental, qu�au niveau politique où ils prêtent le flanc à toutes sortes de manipulations. On peut alors comprendre le mépris du philosophe Eboussi Boulaga : � autochtones, allogènes, ces mots sonnent pédants et barbares. Ils sont l'une des manifestations d'une inculture et d'une cupidité grandissantes (...) la protection des minorités relève d'une mauvaise écologie; on n'a pas à protéger une catégorie de citoyens comme on fait des espèces animales ou végétales en danger de disparition (...) pour nous, l'autochtonie est un motif de l'anthropologie, des mythes d�origine que l'on trouve à travers le monde, selon lesquels les groupes humains disent sortir de la terre, des termitières, des casernes, des rochers �(19)

 

Contre ce qu�il appelle les prophètes du tribalisme urbain qui se sont selon lui révélés à Douala, au lendemain des élections municipales, l�écrivain Mongo Béti rappelle que depuis l�Antiquité gréco-romaine, la grande ville ne saurait appartenir à aucune ethnie, d�autant plus que nos villes africaines ont été créées plutôt par l�homme blanc : �Les Sawa n�ont pas plus créé Douala que les Béti n�ont créé Yaoundé. Sans doute ces sites étaient-ils habités respectivement par les Sawa et les Béti; mais les uns et les autres étaient à l�époque d�antan bien incapables de créer une ville, n�en ayant ni les moyens techniques, encore moins les ressources financières. L�homme blanc vint, choisit l�emplacement, traça les voies, dressa les plans des édifices, bâtit, administra �(20)

 

C�est donc un joli sophisme, pense Mongo Béti, que de prétendre que les Sawa ont accueilli généreusement les autres ethnies à Douala, les Béti faisant de même à Yaoundé. C�est plutôt l�homme blanc qui progressivement fit entrer les indigènes dans la ville qu�il venait de fonder sans distinction d�ethnie. Il ne saurait y avoir d�autochtone ni d�allogène dans une métropole, et comme il en va ailleurs, chaque Camerounais est chez lui dans toutes nos grandes villes et � le reste n�est que balbutiement d�illettrés �, conclut l�écrivain.

 

Toute considération faite, il faut admettre cependant que les majorités démographiques doivent limiter leurs droits pour vivre et progresser en harmonie avec les minorités. La majorité qui veut étouffer la minorité ne manifeste en effet qu'un cas particulier de l�étouffement du droit par la force, dans un contexte camerounais où les majorités électorales coïncident ironiquement avec les majorités ethniques, le cas des Bamiléké. Selon une formule du philosophe français Edgar Morin, par opposition au parti unique, la démocratie est la reconnaissance du droit des minorités, elle détermine les limites de l'exercice du pouvoir par les représentants majoritaires et institue les règles qui respectent l�expression des minorités; la démocratie dans sa nature ultime est une règle de jeu permettant l'expression des antagonismes. Or pour que les antagonismes puissent exister, il faut sauvegarder les diversités et protéger les minorités. La pluralité étant au demeurant une valeur par excellence.

 

On ne peut pourtant pas s�empêcher d'interroger profondément la notion de terroir qui fonde l�autochtonie, ce terroir qui est ici revendiqué comme lieu de naissance des parents, grands-parents et ancêtres. C�est l'élément spatio-temporel qui fonde ainsi l'autochtonie. Or l'histoire des populations africaines étant une histoire de migrations, dans la longue traversée des âges, il n y a pas de place pour une autochtonie absolue. Elle devient essentiellement relative, dans l'axe de la temporalité, car historiquement, toutes les populations sont migrantes. L�autochtone d'aujourd'hui peut donc être l'allogène de demain et vice-versa. Le terroir n'est pas un bien meuble, une création humaine qu'on peut s'approprier, il est de loin un donné, un héritage universel, à portée de tous, sauf mystifications métaphysiques. Bien plus, en sociologie urbaine, la ville, en tant que construit collectif, est essentiellement marquée d'anonymat, donc ne peut être identifiée à une ethnie, fut-elle native. D'où l'arbitraire visible du concept d'autochtonie.

 

Pour beaucoup d�observateurs, la protection des minorités et des �autochtones � récemment inscrite dans la constitution du Cameroun trahirait plutôt la volonté du gouvernement en place de différencier en terme de clivages ethniques les citoyens d�un même pays, de diviser le peuple pour mieux l�asservir. La protection des peuples dits minoritaires ne viserait ainsi qu�à écarter ceux qualifiés de majoritaires des victoires politiques. A tort ou à raison, l�ethnie tant suspectée ici est celle des Bamiléké qui en 1992 avaient déjà été l�objet d�actes d�hostilités ethniques, au lendemain des élections présidentielles du 11 octobre dans les villes de Yaoundé, Sangmélima et Ebolowa, de la part d�une frange des populations locales, ayant cédé aux séductions de la violence électorale. Au vu de toutes les récriminations plus ou moins fondées, des observateurs ont soulevé l�idée d�un péril Bamiléké au Cameroun.

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